Introduction
Dans notre monde hyperconnecté, nos données personnelles sont devenues une véritable monnaie d’échange. Derrière les écrans de nos smartphones et ordinateurs, un écosystème opaque de sociétés spécialisées, les data brokers, collectent, agrègent et revendent ces informations à leur guise. Qui sont ces acteurs discrets mais puissants ? Quels sont leurs procédés et les enjeux liés à ce trafic de données ? Tour d’horizon de ce marché méconnu du grand public.
Table des matières
Qui sont les data brokers ?
Les data brokers, ou courtiers en données, sont des entreprises spécialisées dans la collecte, l’analyse et la revente d’informations personnelles. Leur objectif ? Cartographier les moindres faits et gestes des internautes afin de mieux les cibler, les prévoir et les monétiser. « Internet, pour nous, c’est merveilleux, on peut suivre, tracer et mesurer comme jamais », se réjouit un directeur d’Experian, l’un des plus gros acteurs de ce marché.
Des sociétés au coeur de l’économie numérique
Cotée à la Bourse de Londres, Experian affiche un chiffre d’affaires de 4,8 milliards de dollars. Son produit phare, Mosaic, classe la population française en 13 groupes distincts, de « élites parisiennes » aux « célibataires multi-métiers éco-concernés », en passant par les « petits ménages en ville ». Une véritable cartographie de la société, constituée à partir de données aussi diverses que les fichiers de l’Insee, les bases de données des opérateurs télécoms ou encore les informations collectées sur les réseaux sociaux.
Des méthodes de collecte opaques
Pour alimenter leurs bases de données, les data brokers utilisent toutes les failles possibles. Ils achètent des informations auprès d’autres entreprises, pistent les internautes sur le web grâce à des cookies, ou récupèrent des données issues de programmes de fidélité en magasin. Rien n’échappe à leur appétit vorace : adresses, numéros de téléphone, historiques d’achat, préférences de navigation, localisation… Autant d’éléments qui permettent de dresser un portrait robot extrêmement détaillé de chaque individu.
Un marché en pleine expansion
Le marché du big data et du data brokerage est en pleine explosion. Selon les estimations, il devrait pratiquement doubler d’ici 2030 pour atteindre plus de 450 milliards de dollars. Une manne financière considérable, qui attire de nombreux acteurs.
Des clients aux besoins variés
Les data brokers vendent leurs précieuses bases de données à toutes sortes d’entreprises. Agences de publicité et de marketing veulent cibler au mieux leurs campagnes. Banques et assurances cherchent à évaluer les risques. Partis politiques scrutent les comportements électoraux. Chacun y trouve son compte pour mieux connaître, prédire et influencer les consommateurs.
Des méthodes de valorisation complexes
La valeur de ces données n’est pas simple à évaluer. Prise séparément, une information peut sembler anodine. Mais « en les agrégeant et en les recoupant, leur prix explose », souligne un expert. Ainsi, une simple adresse e-mail peut être revendue 89 dollars, tandis qu’un fichier Insee ciblé sur certains ménages peut atteindre 70 000 euros.
Des pratiques remises en question
Face à cet écosystème opaque et à l’appétit vorace des data brokers, la protection de la vie privée est de plus en plus au cœur des débats. Quelles sont les réglementations en place ? Quels sont les recours possibles pour les citoyens ?
Un cadre réglementaire timide
En Europe, le RGPD encadre depuis 2018 la collecte et l’utilisation des données personnelles. Mais en Suisse, le cadre légal reste plus permissif, avec notamment une exception pour l’évaluation de la solvabilité. Les data brokers peuvent ainsi continuer à compiler et revendre des informations sans avoir besoin du consentement explicite des personnes concernées.
Des outils pour reprendre le contrôle
Face à cette situation, des initiatives citoyennes émergent pour tenter de regagner la maîtrise de ses données personnelles. Des projets comme Exodus Privacy ou Incogni permettent ainsi d’identifier les trackers présents dans les applications mobiles, ou de demander la suppression de ses informations auprès des data brokers. Mais le combat s’annonce « David contre Goliath », tant les moyens des entreprises dépassent largement ceux des régulateurs.
Omniprésents mais discrets, les data brokers incarnent les dérives d’une économie numérique qui a fait de nos données personnelles une véritable « nouvelle matière première ». Si les réglementations peinent à suivre, la prise de conscience citoyenne semble s’accélérer. L’avenir dira si nous réussirons à reprendre le contrôle de nos informations ou si les data brokers continueront d’étendre leur emprise.
Les principaux types de data brokers
Type de data broker | Domaine d’expertise |
---|---|
Courtiers en recherche de personnes | Collectent des informations biographiques, professionnelles et personnelles sur les individus |
Courtiers en marketing et publicité | Segmentent les consommateurs pour cibler les campagnes publicitaires |
Courtiers en informations financières | Revendent des données sur la solvabilité et les historiques de crédit |
Courtiers en gestion des risques | Détectent les fraudes et vérifient les identités |
Courtiers en données de santé | Récupèrent des informations sur les achats de médicaments et les habitudes de santé |
Quelques exemples de data brokers majeurs
Entreprise | Chiffre d’affaires | Principales activités |
---|---|---|
Experian | 4,8 milliards de dollars | Classement de la population en profils-types pour le marketing |
Acxiom | 1,15 milliard de dollars | Collecte jusqu’à 1 500 données par personne aux États-Unis |
Equifax | 3,5 milliards de dollars | Évaluation de la solvabilité et du risque de crédit |
Epsilon | 2,2 milliards de dollars | Ciblage publicitaire et marketing direct |
Datalogix (racheté par Oracle) | Données non communiquées | Lien entre comportements en ligne et en magasin |