Pendant des décennies, l’histoire de Ted Bundy a été racontée à travers le prisme de sa monstruosité masculine. Mais une nouvelle série documentaire bouleverse cette perspective en donnant enfin la parole à Elizabeth Kendall, l’ancienne petite amie de Bundy qui a partagé sa vie pendant cinq ans. Cette femme, qui a vécu l’horreur de découvrir que son compagnon était l’un des tueurs en série les plus prolifiques d’Amérique, sort d’un long silence pour raconter sa vérité. À travers son témoignage et celui de sa fille Molly, nous découvrons comment le charme manipulateur de Bundy pouvait coexister avec une misogynie pathologique, reflétant les tensions entre la violence masculine et le mouvement féministe des années 1970.
Table des matières
- 1 La double vie de Ted Bundy: entre amour quotidien et crimes atroces
- 2 Les indices troublants et la dénonciation courageuse
- 3 La vie après Bundy: transformation et quête de paix
- 4 La psychologie d’une relation toxique: comprendre l’emprise de Bundy
- 5 L’héritage culturel de l’affaire Bundy et la fascination persistante
La double vie de Ted Bundy: entre amour quotidien et crimes atroces

Ted Bundy représente l’une des figures les plus troublantes de l’histoire criminelle américaine. Derrière son charme et son intelligence se cachait un prédateur responsable d’au moins 30 meurtres, bien que certains experts estiment ce nombre à plus d’une centaine. Ce qui rend son cas particulièrement glaçant était sa capacité à maintenir une apparence de normalité totale.
Pendant que des jeunes femmes disparaissaient mystérieusement, Bundy menait une vie apparemment ordinaire avec Elizabeth Kloepfer (connue sous le pseudonyme de Liz Kendall). Cette relation, qui a duré cinq ans à partir de 1969, témoigne de l’extraordinaire duplicité du tueur en série.
Une relation amoureuse sous le signe de la manipulation
Elizabeth Kloepfer était une mère célibataire divorcée travaillant comme secrétaire lorsqu’elle a rencontré Bundy à Seattle. Dans son livre “Le prince fantôme : ma vie avec Ted Bundy”, publié en 1981 sous le pseudonyme d’Elizabeth Kendall, elle se décrit comme “une mère célibataire timide, peu sûre d’elle et solitaire, divorcée et aux prises avec l’alcoolisme”. Bundy est rapidement devenu une figure paternelle pour sa fille Molly.
La relation entre Kendall et Bundy illustre parfaitement les mécanismes de la manipulation psychologique. Dans les enregistrements présentés dans la série Netflix “Conversations avec un tueur”, Bundy affirme: “Je l’aimais tellement que c’était déstabilisant.” Pourtant, cette déclaration d’amour contrastait avec ses comportements troublants.
Comportements manipulateurs de Bundy | Impact sur Elizabeth Kendall |
---|---|
Alternance entre affection intense et distance émotionnelle | Dépendance affective et doute perpétuel |
Mensonges constants sur ses activités | Confusion et déni face aux soupçons croissants |
Présentation d’une façade de stabilité | Croyance en une possible vie familiale normale |
Tentative présumée d’empoisonnement (fumée de cheminée) | Mise en danger physique dissimulée derrière des “accidents” |
Cette dynamique toxique est parfaitement résumée par Kendall elle-même: “J’ai donné ma vie à Ted et j’ai dit: ‘Ici. Prends soin de moi.’ Il l’a fait de bien des manières, mais je suis devenue de plus en plus dépendante de lui. Quand je ressentais son amour, j’étais au sommet du monde; quand je ne ressentais rien de Ted, je sentais que je n’étais rien.”
Les indices troublants et la dénonciation courageuse

Au fil du temps, Elizabeth Kendall a commencé à remarquer des signes inquiétants qui l’ont poussée à soupçonner que l’homme qu’elle aimait pouvait être lié aux disparitions mystérieuses de jeunes femmes à Seattle. Ces indices, d’abord subtils puis de plus en plus accablants, ont fini par la conduire à prendre une décision qui a changé le cours de l’enquête.
Les signes révélateurs qui ont éveillé les soupçons
Malgré son amour pour Bundy, plusieurs éléments ont progressivement alerté Elizabeth. Son amie proche, Marylynne Chino, qui était présente lors de leur première rencontre au Sandpiper Bar de Seattle, a joué un rôle crucial en l’encourageant à confronter ses doutes.
- Plâtre de Paris – Kendall a découvert du plâtre chez Bundy, alors que les médias rapportaient que l’agresseur portait un faux plâtre pour attirer ses victimes
- Sous-vêtements féminins – Elle a trouvé des sous-vêtements qui ne lui appartenaient pas dans les affaires de Bundy
- Correspondance avec le portrait-robot – Le suspect était décrit comme un homme nommé “Ted” conduisant une Volkswagen, exactement comme Bundy
- Absences inexpliquées – Bundy disparaissait souvent pendant les nuits où des femmes étaient agressées
Dans son livre, Kendall raconte un moment particulièrement glaçant où elle a fait le lien entre le plâtre que portait le suspect du lac Sammamish et celui qu’elle avait vu chez Ted: “Il a dit qu’une personne ne pouvait jamais dire quand elle allait se casser une jambe, et nous avons tous les deux ri. Maintenant, je n’arrête pas de penser au casting que portait le gars du lac Sammamish – quelle arme parfaite cela ferait pour frapper quelqu’un sur la tête.”
L’acte courageux qui a contribué à stopper un tueur
Face à l’accumulation d’indices, Elizabeth a pris l’une des décisions les plus difficiles de sa vie: contacter la police pour signaler ses soupçons concernant l’homme qu’elle aimait. Son amie Marylynne Chino l’a encouragée dans cette démarche, lui rappelant les paroles prémonitoires de son propre père: “S’il l’a fait une fois, il le fera à nouveau.”
Cette dénonciation représente un acte de courage extraordinaire pour une femme qui était profondément amoureuse de Bundy. Elle a dû surmonter le déni, la peur et la loyauté pour faire ce qui était juste. Son témoignage a fourni aux autorités des informations précieuses qui ont contribué à l’identification de Bundy comme suspect principal.
Contacts avec la police | Réaction des autorités | Impact sur l’enquête |
---|---|---|
Premier signalement (1974) | Scepticisme initial | Ajout de Bundy à la liste des suspects potentiels |
Témoignages complémentaires | Intérêt croissant | Renforcement des soupçons envers Bundy |
Fournissure d’indices matériels | Reconnaissance de la valeur des informations | Développement de preuves circonstancielles |
Malgré ses actions pour aider la justice, Elizabeth a continué à entretenir une relation complexe avec Bundy, même après ses premières arrestations. Cette ambivalence témoigne de la force des liens émotionnels qu’il avait créés et de l’emprise psychologique qu’il exerçait sur elle.
La vie après Bundy: transformation et quête de paix

Après la révélation de la véritable nature de Ted Bundy, Elizabeth Kendall a dû reconstruire sa vie, marquée à jamais par cette relation traumatisante. Son parcours illustre à la fois les séquelles durables laissées par une relation avec un psychopathe et la possibilité de résilience face à l’horreur.
De l’alcoolisme à la spiritualité: le chemin de guérison
Dans son livre, Elizabeth décrit comment elle est passée d’une dépendance à l’alcool à une recherche de sens à travers la spiritualité. “Ma croissance spirituelle est extrêmement importante pour moi maintenant. J’essaie de vivre ma vie selon la volonté de Dieu. Je prie pour Ted, mais je suis écœurée par lui. La tragédie est que cet homme chaleureux et aimant est poussé à tuer.”
Ce cheminement spirituel a été crucial dans son processus de guérison, lui permettant de donner un sens à l’incompréhensible et de trouver un cadre pour gérer ses émotions contradictoires. Les archives publiques indiquent qu’Elizabeth s’est remariée en 1978, cherchant à reconstruire une vie normale loin des projecteurs.
- Changement d’identité – Elle a changé son nom pour préserver sa vie privée et celle de sa fille
- Déménagement – Installation dans l’État de Washington, loin de l’attention médiatique
- Reconstruction familiale – Nouveau mariage et tentative de créer un environnement stable
- Thérapie – Travail psychologique pour surmonter le traumatisme
Contrairement à Carole Ann Boone, qui a épousé Bundy pendant son procès et a eu une fille avec lui (Rose Bundy), Elizabeth a choisi de s’éloigner complètement de cette histoire macabre pour se reconstruire dans l’anonymat.
Rompre le silence: contribution au film et à la série documentaire
Après des décennies de silence, Elizabeth Kendall a accepté de collaborer au film Netflix “Extremely Wicked, Shockingly Evil and Vile” (2019), dans lequel Lily Collins interprète son personnage face à Zac Efron dans le rôle de Bundy. Cette décision marque un tournant dans sa volonté de reprendre le contrôle de son récit.
Le réalisateur Joe Berlinger a finalement réussi à la retrouver après des recherches initiales infructueuses. Bien qu’elle ait souhaité rester en retrait des médias, Elizabeth a partagé des albums photos inédits montrant sa vie quotidienne avec Bundy, des images troublantes de normalité domestique: anniversaires, camping, ski – des moments familiaux ordinaires avec un homme extraordinairement monstrueux.
Représentations médiatiques | Participation d’Elizabeth | Impact sur la perception publique |
---|---|---|
“Le prince fantôme” (1981) | Autrice sous pseudonyme | Premier témoignage personnel sur la relation avec Bundy |
“Extremely Wicked…” (2019) | Consultante, visite du plateau | Humanisation de son personnage à travers le jeu de Lily Collins |
Série documentaire Netflix (2020) | Témoignage direct | Perspective féminine sur l’histoire criminelle de Bundy |
Lily Collins a déclaré à propos de sa rencontre avec Elizabeth: “Elle était disposée et réellement passionnée à me rencontrer.” Cette collaboration a permis d’offrir une représentation plus nuancée et authentique de son expérience, au-delà des clichés habituels sur les “petites amies de tueurs en série”.
La psychologie d’une relation toxique: comprendre l’emprise de Bundy

L’histoire d’Elizabeth Kendall offre un aperçu fascinant et troublant des mécanismes psychologiques à l’œuvre dans les relations avec des personnalités psychopathiques. Comment une femme intelligente a-t-elle pu rester cinq ans avec un homme qui commettait des actes aussi monstrueux? Cette question, souvent posée avec jugement, mérite une analyse plus profonde des dynamiques de manipulation.
Les stratégies de manipulation d’un prédateur narcissique
Ted Bundy possédait les caractéristiques classiques d’un manipulateur narcissique: charme superficiel, intelligence, capacité à mentir sans remords et à créer une dépendance émotionnelle chez ses victimes. Sa relation avec Elizabeth illustre parfaitement les tactiques d’emprise psychologique utilisées par les prédateurs.
- Love bombing – Au début de leur relation, Bundy inondait Elizabeth d’attention et d’affection
- Gaslighting – Il niait l’évidence face à ses soupçons, la faisant douter de sa propre perception
- Intermittence affective – Alternance entre chaleur et froideur créant une dépendance émotionnelle
- Isolement progressif – Réduction subtile de ses contacts sociaux pour augmenter sa dépendance
- Double personnalité – Maintien d’une façade sociale impeccable contrastant avec sa nature violente
Sa capacité à compartimenter était extraordinaire. Pendant que les corps de jeunes femmes étaient découverts, il pouvait jouer le rôle du petit ami attentionné et de la figure paternelle idéale pour la fille d’Elizabeth. Cette dualité parfaite rendait presque impossible pour Elizabeth de réconcilier l’homme qu’elle aimait avec le monstre décrit dans les médias.
Phase de la relation | Comportement de Bundy | Impact psychologique sur Elizabeth |
---|---|---|
Séduction initiale | Charme intense, attention constante | Sentiment d’être “l’élue”, euphorie émotionnelle |
Installation de la dépendance | Alternance présence/absence, promesses | Anxiété d’abandon, besoin de validation |
Période des soupçons | Déni, contre-accusations, minimisation | Confusion cognitive, doute de soi |
Après les révélations | Manipulation depuis la prison, lettres | Culpabilité, honte, traumatisme complexe |
Cette dynamique explique pourquoi, même après avoir signalé ses soupçons à la police, Elizabeth a maintenu un lien avec Bundy. Le trauma bonding, phénomène psychologique bien documenté, crée des attaches paradoxales qui peuvent persister malgré la conscience du danger ou de l’abus.
Le lien entre Diane Edwards et les victimes: une clé psychologique
Un aspect fascinant de la psychologie de Bundy concerne sa relation avec Diane Edwards (parfois appelée Stephanie Brooks dans les récits), sa première petite amie sérieuse. Contrairement à Elizabeth Kloepfer, Diane venait d’un milieu aisé et représentait pour Bundy un idéal social inaccessible qui l’a rejeté.
De nombreux experts en psychologie criminelle ont noté la ressemblance frappante entre Diane Edwards et plusieurs des victimes de Bundy: jeunes femmes brunes aux cheveux longs séparés par une raie au milieu. Cette similitude physique suggère que ses meurtres avaient une dimension de vengeance symbolique liée à ce rejet initial.
Dans les enregistrements analysés dans le documentaire Netflix, Bundy admet lui-même: “La relation que j’ai eue avec Diane a eu un impact durable sur moi.” Ce qu’il ne dit pas, c’est que cet “impact” s’est transformé en une rage meurtrière dirigée contre des femmes qui ressemblaient à celle qui l’avait rejeté.
Le cas particulier de la relation Bundy-Kendall met en lumière la complexité de la psychologie humaine face à la manipulation et au traumatisme. Il souligne également l’importance de comprendre ces mécanismes sans juger les victimes qui restent prises dans ces dynamiques toxiques.
L’héritage culturel de l’affaire Bundy et la fascination persistante

Plus de quarante ans après ses crimes, Ted Bundy continue de fasciner le public, comme en témoigne la multiplication des films, séries et documentaires à son sujet. Cette fascination soulève des questions troublantes sur notre rapport collectif aux tueurs en série et sur la manière dont nous représentons ces histoires.
La représentation problématique des tueurs en série dans la culture populaire
La sortie en 2019 du film “Extremely Wicked, Shockingly Evil and Vile” avec Zac Efron a déclenché une controverse sur la potentielle glamourisation de Ted Bundy. Le casting d’une idole des adolescents dans le rôle d’un tueur en série a été critiqué comme potentiellement dangereux.
Cette controverse illustre la tension permanente dans la représentation des criminels charismatiques: d’un côté, montrer leur capacité à séduire et à manipuler est essentiel pour comprendre comment ils ont pu opérer; de l’autre, cette même représentation risque de créer une fascination malsaine.
- Cinéma hollywoodien – Tendance à romantiser les tueurs charismatiques et à minimiser l’horreur des crimes
- True crime documentaires – Focus excessif sur le criminel plutôt que sur les victimes ou survivantes
- Podcasts criminels – Phénomène de “fandom” autour des criminels célèbres
- Réseaux sociaux – Communautés d’admirateurs de tueurs en série (phenomenon des “hybristophiles”)
La perspective d’Elizabeth Kendall offre un contrepoids nécessaire à cette fascination pour Bundy. En recentrant le récit sur son expérience et celle d’autres survivantes, la série documentaire Netflix contribue à un rééquilibrage bienvenu de cette narrative criminelle.
Œuvre sur Bundy | Perspective adoptée | Impact culturel |
---|---|---|
“L’étranger à mes côtés” (Ann Rule, 1980) | Collègue et amie de Bundy | Premier portrait complexe, entre normalité et monstruosité |
“Le prince fantôme” (E. Kendall, 1981) | Partenaire intime | Regard unique sur la vie domestique avec un tueur |
“Conversations avec un tueur” (2019) | Bundy lui-même via enregistrements | Plongée troublante dans sa psychologie manipulatrice |
“Extremely Wicked…” (2019) | Relation avec Elizabeth | Exploration de la manipulation amoureuse et du déni |
Ces multiples perspectives nous rappellent que l’histoire de Ted Bundy n’est pas seulement celle d’un tueur, mais aussi celle des femmes dont la vie a été bouleversée par sa présence: ses victimes, bien sûr, mais aussi celles qui ont survécu à sa proximité toxique.
Recentrer le récit: donner une voix aux survivantes
La nouvelle série documentaire avec Elizabeth Kendall et sa fille Molly marque un tournant important dans la façon dont l’histoire de Bundy est racontée. En donnant enfin la parole à celles qui ont vécu dans l’ombre du tueur, elle replace les femmes au centre d’un récit qui les avait trop souvent reléguées à la périphérie.
Ce changement de perspective s’inscrit dans un contexte plus large de réexamen des histoires criminelles sous un angle féministe. La série explore comment la misogynie pathologique de Bundy s’inscrivait dans le contexte sociétal des années 1970, une époque où le mouvement féministe gagnait en puissance tandis que la violence contre les femmes restait largement impunie.
Cette approche offre non seulement une compréhension plus riche de l’affaire Bundy, mais aussi des leçons précieuses sur les dynamiques de pouvoir genrées qui continuent d’influencer notre société. En écoutant Elizabeth Kendall, nous comprenons mieux les mécanismes qui permettent à des prédateurs comme Bundy d’opérer à l’abri des regards pendant si longtemps.
L’impact de cette série dépasse donc la simple fascination criminelle pour offrir une réflexion plus profonde sur les structures sociales qui facilitent les violences genrées et sur la résilience extraordinaire des femmes qui y survivent.