L’idée de poser son ordinateur portable n’importe où sans chercher de prise séduit depuis plus d’une décennie. Après les tapis à induction, la nouvelle promesse, c’est la transmission « over‑the‑air » : un émetteur radio ou infrarouge diffuse de l’énergie à plusieurs mètres, capable – en théorie – d’alimenter tout un bureau. Mais où en est la technologie en 2025 ? Les démonstrations récentes du CES et les décisions des régulateurs permettent d’esquisser une réponse nuancée : oui, la recharge d’un laptop par ondes est techniquement possible, mais loin d’être prête pour le grand public.
Table des matières
- 1 De quoi parle‑t‑on ?
- 2 Les prototypes présentés en 2025
- 3 Les besoins réels d’un ordinateur portable
- 4 Les murs de la physique : perte et rendement
- 5 Cadre réglementaire : ICNIRP et FCC à la loupe
- 6 Sécurité, interférences et coexistence radio
- 7 Scénarios d’usage et feuille de route
- 8 Les freins économiques
- 9 Erreurs de perception courantes
- 10 Conclusion
De quoi parle‑t‑on ?
Puissance : un ultrabook moderne réclame entre 30 W (navigation) et 65 W (charge rapide). C’est un ordre de grandeur dix fois supérieur à la plupart des solutions « power‑over‑air » destinées aux capteurs IoT.
Fréquences : deux familles dominent :
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RF (915 MHz ou 2,4 GHz), utilisées par Powercast, Energous ou Ossia.
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Infrarouge focalisé (850‑950 nm), championné par Wi‑Charge.
Le choix de la bande impose des compromis : plus la fréquence est haute, plus l’antenne peut concentrer l’énergie, mais plus les obstacles la bloquent.
Les prototypes présentés en 2025
Ossia / Toyoda Gosei – Cota Forever Magnetic Charger
Lauréat d’un Innovation Award au CES 2025, le Forever Charger transmet quelques watts par ondes radio à un téléphone maintenu en MagSafe, même en mouvement. La même technologie, promet Ossia, pourrait grimper à 30 W en multipliant les antennes pour viser un ultrabook, mais la démonstration publique se limite encore au smartphone.
Wi‑Charge AirCord™
La start‑up israélienne perfectionne un faisceau infrarouge capable de délivrer jusqu’à 20 W à plus de dix mètres. À Vegas, elle a dévoilé un prototype de récepteur USB‑C que l’on clipse sur la charnière d’un laptop : trois émetteurs plafond suffisent à maintenir la batterie à niveau pendant la bureautique légère.
Powercast et la RF maillée
Le réseau domestique montré par Powercast compte quatre modules 3 W EIRP qui, ensemble, fournissent 6 à 8 W efficaces à un Chromebook en veille. L’approche est modulaire : on additionne les sources pour atteindre 30 W, mais le rendement global plafonne sous 5 %.
Energous WattUp PowerBridge 15 W
Bien qu’orienté objets connectés, le pont 15 W d’Energous, approuvé par la FCC en 2022, sert de jalon réglementaire : c’est la première autorisation américaine au‑delà de 1 W pour un émetteur à distance. Une version 30 W pour notebook reste au stade de banc d’essai.
Les besoins réels d’un ordinateur portable
Un MacBook Air M3 se contente de 30 W, un PC gamer « thin‑and‑light » dépasse 100 W en pic. Tenir une session de retouche photo ou compiler du code demande au moins 45 W continus. Les prototypes ci‑dessus atteignent ces valeurs seulement dans des conditions idéales : ligne de vue parfaite, antenne focalisée, environnement sans personnes qui absorbent le faisceau.
Les murs de la physique : perte et rendement
Le transfert RF longue portée obéit à la loi de Friis : la puissance reçue chute avec le carré de la distance. À trois mètres, un émetteur de 4 W EIRP livre moins de 50 mW à une antenne patch de 5 dBi. Pour gagner deux ordres de grandeur, il faut concentrer (beamforming), multiplier les émetteurs ou monter la puissance – jusqu’à heurter les limites sanitaires. L’infrarouge s’en sort mieux : le faisceau collimaté transmet davantage d’énergie intacte, mais la sécurité oculaire impose des capteurs qui coupent le rayon au moindre passage.
Cadre réglementaire : ICNIRP et FCC à la loupe
ICNIRP 2020
Les lignes directrices internationales fixent la densité de puissance maximale pour le public à 10 W/m² entre 2 et 300 GHz et un DAS local de 2 W/kg pour les fréquences plus basses. Toute solution grand public doit prouver qu’elle reste sous ces seuils en usage continu.
FCC Part 18 et nouvelles KDB
Aux États‑Unis, la recharge « at‑a‑distance » relève désormais du Part 18 modifié ; chaque dossier dépassement de 1 W subit une analyse poussée de cartographie de champ. En Europe, la norme EN 62311 transpose les valeurs ICNIRP et applique le principe ALARA : « aussi bas que raisonnablement atteignable », freinant la puissance émise.
Sécurité, interférences et coexistence radio
Les bandes ISM (915 MHz, 2,4 GHz) sont déjà saturées par Wi‑Fi, Bluetooth et Zigbee. Un système délivrant 30 W EIRP doit prouver qu’il ne noie pas les réseaux voisins. L’infrarouge évite l’interférence mais exige une surveillance temps réel pour couper si quelqu’un traverse le faisceau, ce qui interromprait la charge.
Scénarios d’usage et feuille de route
Les ingénieurs rêvent d’un bureau « smart » où des lampadaires‑chargeurs au plafond arrosent en continu les ordinateurs équipés d’un récepteur USB‑C. Le PC capterait 20 W, prolongeant ainsi l’autonomie et réduisant les cycles batterie. Dans un open space, l’accès pourrait s’authentifier via Bluetooth LE, badge NFC ou code visuel ; on pourrait même créer un qr code sur le laptop pour demander la priorité énergétique pendant une présentation. Les pilotes commerciaux sont attendus autour de 2027 dans des salles de réunion premium, le temps que les coûts descendent sous 200 € par émetteur.
Les freins économiques
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Rendement global : à 30 W délivrés, un réseau RF consommerait environ 600 W à la prise pour couvrir 40 m². L’infrarouge fait mieux (20 – 25 % de rendement) mais reste énergivore face à un simple chargeur USB‑C GaN à 95 %.
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Coût des licences : chaque émetteur doit être certifié, testé, maintenu.
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Obsolescence : les PC évoluent tous les deux ans ; un module récepteur interne figerait le design, d’où la préférence pour des dongles externes interchangeables.
Erreurs de perception courantes
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L’énergie « gratuite » dans les ondes Wi‑Fi ambiantes ne suffit pas : on parle de microwatts, pas de dizaines de watts.
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La recharge longue portée ne doit pas être confondue avec la norme Qi 2 « mag‑safe » : celle‑ci reste à contact ou quasi‑contact et offre un rendement de 70 %.
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La santé est bien prise en compte : tout produit commercial doit démontrer sa conformité et passe des mois d’essais en laboratoire avant d’obtenir son marquage CE ou FCC.
Conclusion
En 2025, la recharge d’ordinateurs portables par ondes radio ou infrarouges existe en prototypes ; elle impressionne sur les stands et alimente déjà des ultrabooks en veille ou en usage léger. Pourtant, la combinaison puissance‑rendement‑sécurité freine la commercialisation grand public. La technologie devrait d’abord se déployer dans des environnements contrôlés – capteurs, tablettes kiosques, équipements médicaux – avant de viser les laptops. Les prochaines avancées porteront sur l’optimisation des antennes, l’amélioration du rendement au‑delà de 30 % et l’harmonisation réglementaire. D’ici là, le chargeur USB‑C reste le compagnon indispensable du nomade numérique.